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Histoire d’un Grain : de la farine de blé au pays du lait

Histoire d'un grain

Auteurs : Quentin Spineux, CATL et Pierre-Yves Vermer, Biowallonie

Fin mars 2025, le printemps commence à prendre confortablement ses quartiers dans le Pays de Herve. Jonathan Leruth, coordinateur de la coopérative, nous a convié pour visiter la nouvelle mouture du projet d’Histoire d’Un Grain, une meunerie coopérative résiliente qui a su forger son identité au fil des années et qui compte désormais plus de 420 coopérateurs et coopératrices. Coup de projecteur sur cette initiative riche en valeurs d’économie sociale et de farines vertueuses.

Lancement d’un moulin en réaction au manque d’offre de farine locale

A l’origine du projet, on retrouve un groupe de boulanger·e·s formés de l’autre côté de la Wallonie, à la Ferme du Pré Aux Chênes, chez Philippe Genet, paysan-meunier-boulanger. Caroline, Mathilde, Renaud et Guillaume, originaires du Pays de Herve, font un constat à l’issue de leur formation : l’approvisionnement de farine bio-locales n’est pas aisé en 2018 dans ce coin de la Belgique. Qu’à cela ne tienne ! Ils et elles se décident et lancent leur projet de meunerie. L’idée est simple : se fournir auprès de producteurs locaux et alimenter les boulangeries de la région. A cet instant, Histoire d’un grain vient s’ajouter au réseau encore balbutiant des meuneries wallonnes. La forme choisie pour cette aventure sera celle de la coopérative dans laquelle de nombreuses personnes embarquent d’emblée ! « Très rapidement on a reçu beaucoup de soutien, les personnes souscrivant des parts, multiples de 250€. Ça a tout d’abord permis de lancer le projet sereinement. Il fallait tout de même sécuriser cet argent et nous avons ainsi investi une partie du capital dans 4 hectares de terres » précise Caroline, membre fondatrice et administratrice.

« Histoire d’Un Grain se présente donc d’emblée comme une filière du grain au pain » renchérit Jonathan Leruth, coordinateur de la coopérative. Avant d’apporter une nuance : « Dans les faits, 4 hectares pour approvisionner un moulin en céréales panifiables n’est pas suffisant. Il faut en effet respecter de longues rotations pour éviter les maladies. Nous achetons donc aussi des céréales biologiques à d’autres fermes. C’est d’ailleurs la raison d’être du projet et nous apportons une attention particulière à l’alignement des valeurs notamment en matière d’agrobiologie. Aujourd’hui, des liens de confiance se sont tissés et les rapports se sont professionnalisés. Nous assurons une stabilité dans la qualité des approvisionnements. » Pour assurer son fonctionnement, la coopérative engage un équivalent temps plein, réparti sur 3 personnes.

La coopérative installe d’abord sa meule dans l’ancienne cidrerie Ruwet à Thimister en 2018 avant de devoir libérer les lieux, trouvant une solution transitoire dans un conteneur maritime. La configuration des lieux n’étant pas adaptée, la meunerie se déplace encore vers la Ferme de La Chapelle à Soumagne en juin 2020. Vincent, propriétaire et coopérateur prend alors place aux commandes du moulin.

C’est en juin 2023 que Jonathan rejoint l’aventure. Très vite il se rend compte que pour pérenniser ses activités, « Histoire d’un grain » doit gagner en ergonomie. « Un énième changement de lieu s’imposait » explique Jonathan. Et c’est chez David Jolet, Ferme de Thimister, après de nombreuses visites, que la coopérative décide de s’installer. C’est un véritable changement d’échelle qui s’opère et la meunerie s’intègre parfaitement dans ses nouveaux locaux.  Elle évolue désormais dans l’écosystème dont elle a toujours rêvé.

Effectivement, au même moment, une pluralité de projets s’installe au sein de la ferme : élevage de vaches allaitantes de race Aubrac qui bénéficient d’un verger hautes tiges à pâturer, poules pondeuses (avec une casserie d’œufs bio attenantes) et bientôt, une glacerie à la ferme mais aussi un futur atelier de boulangerie attenant à la meunerie et peut-être un atelier de boucherie. Il restera encore un espace pour un porteur de projet Un magasin autogéré est même en cours d’installation et sera accessible 24/7. De quoi contenter tous les types de consommateurs et consommatrices !

« La dynamique est vraiment positive et David rassemble les différents projets dans une optique de partage. On sent vraiment qu’on a de la chance de se trouver ici ! » analyse Jonathan, persuadé de la plus-value du passage du ravel tout proche qui boostera la fréquentation du lieu.

Le processus de mouture au service de la qualité

Chaque année, 50 tonnes de céréales bio-locales sont écrasées entre les meules d’Histoire d’Un Grain, permettant de distribuer en circuit-court 40 tonnes de farines de qualité. « Les céréales sont achetées dans la province de Liège ou à quelques kilomètres à la ronde. Nous signons d’emblée des contrats avec les agriculteurs afin de leur garantir un prix minimum. Si la qualité panifiable est atteinte, un complément à la tonne est payé. L’idée est de changer les rapports et d’avoir un engagement réciproque auprès des producteurs. Nous privilégions le dialogue et nous ne nous basons pas sur un seul critère pour déterminer la qualité d’une farine.» développe Jonathan pour qui la communication entre les maillons de la filière est primordiale : « Les boulangers visitent régulièrement les fermes afin d’échanger et de mettre un visage sur un producteur et d’observer ses pratiques. Pour un producteur, il est toujours plus valorisant de savoir ce que devient la marchandise produite sur la ferme. Nous envoyons donc symboliquement un paquet de farine par la poste afin qu’ils se sentent partie intégrante du projet, cela donne du sens à leur travail, le résultat d’une agriculture nourricière. »[1]

La gamme de farine a de quoi satisfaire tous les utilisateurs avec comme espèces les blés anciens, le froment, l’épeautre, le seigle et le petit épeautre bientôt disponible.

Concrètement, les céréales arrivent quelques temps après la moisson, une fois que leur taux d’humidité est stabilisé autour de 15%. La coopérative dispose de silos de stockage lui permettant de conserver tous les grains dont elle a besoin pour son année de mouture. Si, pour l’instant, l’épeautre sont décortiqués à façon, la coopérative n’exclue pas d’investir dans une décortiqueuse à un moment donné. Au fur et à mesure des commandes et des besoins, les grains sont passés dans une trémie de préparation dans laquelle on va humidifier le grain pour le préparer à la mouture. La capacité de cette trémie est de 500kg Le grain est ensuite acheminé vers un moulin en meules de pierre de type Astrié[2], acheté en France, près de Carcassonne, après d’amples recherches. Les meules en granit proviennent du Tarn et ont, lorsqu’elles sont bien entretenues, une durée de vie de plus d’un siècle. Le moulin, fabriqué par Philippe Lauzes, bien connu dans le milieu, a une très belle capacité à « dérouler le grain » et peut produire jusqu’à 150 tonnes par an. Une belle marge de progression pour la coopérative donc, elle qui cherche à se rapprocher des 70-80 tonnes afin de franchir le seuil de rentabilité dès l’année prochaine.

La farine fraichement produite est alors mise en sac de 25kg après être passée par la bluterie[3]. Ensuite, de l’ensachage en petit conditionnement est réalisé pour rencontrer les besoins des particuliers. Au niveau des canaux de vente, la majeure partie du chiffre d’affaires (60 à 70%) est écoulée chez des boulangers, ensuite environ 20 épiceries de la région commandent environ 25%, le reste étant vendu directement sur place.

Histoire d’Un Grain passe à la vitesse supérieure

Désormais installée dans un nouveau lieu propice à son développement, la coopérative souhaite s’attaquer à 3 grands chantiers :

  • aller vers toujours plus de professionnalisation dans la pratique de ses activités en développant les infrastructures
  • étendre la gamme tout en assurant les volumes
  • développer le pôle commercial et la communication auprès des boulangers

Tout porte à croire que les toutes les conditions sont désormais réunies pour voir le projet prendre de l’ampleur avec ce nouvel emplacement et les convergences des dynamiques ! Pour se développer, la coopérative Histoire d’Un Grain propose également de la mouture à façon, une belle opportunité de valoriser vos productions céréales au sein d’un beau projet et d’appréhender la vente de farine par la suite.

Vous êtes producteur ou productrice de céréales panifiables à la recherche de débouchés à haute valeur humaine ajoutée ? Vous êtes boulanger·ère et désirez faire évoluer vos approvisionnements vers plus de durabilité. N’hésitez pas à prendre contact avec Jonathan, toujours intéressé de rencontrer de potentiels nouveaux partenaires bio ! jonathan@histoiredungrain.be 0490/46.03.56

[1] NDLR : Pour rappel, les céréales panifiables ne représentent qu’une petite fraction des céréales produite : 10 à 15 %. Le reste étant valorisé en alimentation animale en bio mais aussi en énergie en conventionnel. Pour aller plus loin : https://www.natpro.be/wp-content/uploads/2023/03/echangeons-sur-notre-agriculture___cereales.pdf

[2] Type de moulin constitué par deux meules de pierre destiné à permettre aux fermes de gagner en autonomie. Ce type de moulin a été conçu et popularisé par les frères Astrié.

[3] Une bluterie est un tamis rotatif laissant passer la farine mais retenant des particules plus ou moins conséquentes de son.